Texte figurant sur le journal de l’exposition « Au 43 rue Fructidor » de la Maison d’art
contemporain Chaillioux - 2009.
Mémoire de la sensation.
C'est comme du papier pelure. Ça a l'air extrêmement fin, mais c'est constitué de plusieurs couches plus fines encore, dont la superposition crée cette surface faussement fragile, une strate cachant une autre strate qui en cache peut-être une troisième, au moins. La peinture d'Alain Sicard est mince comme une photographie, dont elle mime parfois le brillant et les marges blanches. Elle est pourtant faite de tant de couches qu'au jeu de l'épluchage, on ne peut que se perdre. Couches de peinture, passée et repassée jusqu'à ce que ça tienne. Mais strates, aussi, d'un autre genre, dont la présence, sous la surface apparemment plane, est aussi nécessaire que l'équilibre soudain trouvé des coups de brosse qui font naître ombre, lumière, relief et mouvement, afin que cela tienne. Car sous chaque tableau d'Alain Sicard il y a d'autres tableaux. Non que l'artiste soit un amateur de palimpseste, repeignant sans cesse une seule surface afin de faire naître une oeuvre nouvelle de l'engloutissement d'une autre. Mais parce que le fond, ici, est moins ce papier couché très mince qu'il travaille à l'huile, que sa mémoire. Une mémoire faite de tableaux, d'une infinité de tableaux, mais aussi de souvenirs de tableaux, ou, sans doute devrait-on dire de souvenirs de sensations de tableaux, mais également de lieux où se trouvaient ces tableaux lorsqu'il les a vus, et des gens qui vivaient là, et du temps où ces gens étaient là. Comme cet appartement, au 43, rue Fructidor, à Chalon-sur-Saône, où habitaient ses grands-parents, et où il connut, enfant, ses premiers émois esthétiques. Appartement dont il a souhaité qu'aujourd'hui, dans cette exposition, quelques-unes des oeuvres qui ornaient ses murs soient présentes, accrochées avec ses propres tableaux. Comme un hommage à l'origine.
Lorsqu’Alain Sicard peint, c'est avec en mémoire cela : oui, tout cela, en même temps, car en homme qui travaille sur et avec sa mémoire, il sait que celle-ci ne sépare pas, mais mélange, réunit, confond même, parfois, et que le travail de la peinture n'est pas, dès lors, de remettre de l'ordre, mais de susciter, soudain, une levée de fantômes. Sinon, ça ne tient pas.
Alain Sicard travaille donc à l'huile, tantôt sur papier couché, tantôt sur un papier aquarelle, un vernis mat lui servant de liant au moment même où il peint. C'est par conséquent dans le temps laissé par le vernis, entre son application et le séchage qui rend tout travail impossible et l'expulse du support, qu'il peint. Il y a dans cette contrainte, dans cette limitation délibérée du temps de peindre, quelque chose qui vient conforter l'idée qu'ici la création est une plongée …/…
|