.../...En promenant notre regard d’une peinture à l’autre dans cette nouvelle exposition, plusieurs de ces œuvres sur papier peuvent nous suggérer, par leurs tracés énergiques au pinceau, des bribes de mots ou une écriture illisible. D’autres, par la répétition de couleurs et de motifs, peuvent évoquer des détails remémorés de certains tableaux de l’histoire de l’art. D’autres encore, par leur géométrie fluide, semblent représenter des tableaux. Dans une peinture récente, 2.90.64.24.PA - les titres constituent un système d’identification composé d’un numéro, du format, de l’année, et de la technique de l’œuvre -, des formes rectangulaires aux bords flous et peints en couleurs vives - rouge vermillon, violet, vert, jaune - se superposent et se chevauchent de haut en bas de la feuille. Elles se succèdent dans l’espace, dessinent une profondeur et se fondent les unes dans les autres. Elles peuvent nous faire penser à l’ensemble des tableaux, tous confondus, que l’artiste a vus et stockés dans les recoins de sa mémoire. C’est une sorte de défilé du « musée imaginaire », une remontée à la surface de souvenirs des œuvres qui l’ont ému, qui nous ont tous émus. La géométrie qui ordonne la surface de la feuille est en plein mouvement, et risque de se dissoudre à tout moment dans la matière liquide de la peinture, comme la mémoire qui fléchit et, soudain, ne sait plus. Cette peinture nous interroge : que reste-t-il de nos pérégrinations dans les expositions ? Gardons-nous en tête les images précises de ce que nous avons vu ? Ou est-ce plutôt le souvenir de l’émotion ressentie devant une œuvre qui perdure en nous ? « Je suis spectateur de surgissements, de réminiscences, qui m’étonnent moi-même, (…) et j’ai même parfois du mal à en nommer les référents, ou comme j’aime à le dire : je les ai sur le bout de la langue ! »
Néanmoins, ces derniers réapparaissent tout au long de la séance de travail de l’artiste : Van Eyck, Velázquez, Watteau, Courbet, Matisse, Mondrian, Guston, Martin Barré, Shirley Jaffe… 2.90.64.24.PA, et d’autres peintures de l’exposition, peuvent même nous évoquer la thématique du tableau dans le tableau. La répétition concentrique des formes dans 22.90.64.22.PA dessine l’espace vertigineux de la mise en abyme, nous questionnant sur la peinture en tant que miroir. 4.90.64.24.PA, par la structure désordonnée des rectangles dans l’espace pictural, comme des tableaux qui rempliraient une pièce, n’est pas sans rappeler le thème de l’atelier du peintre. Il ne s’agit pas d’une représentation littérale bien sûr, mais d’une sorte de schématisation, une cartographie mentale de ce qui se passe lors de l’acte de peindre, dans laquelle notre regard peut cheminer à sa guise. Il semble que dans ce geste de plier et de déplier sa feuille, l’artiste nous ouvre un espace de réflexion, nous invite à partager son éloge très personnel de la peinture.

Diana Quinby
Mars 2025

1 2 3 4 « Les hommages d’Alain Sicard », entretien par Orianne Castel, Art-Critique.com, le 9 juillet 2024