Texte introduisant l'entretien radiophonique sur "Subito Radio" - 2019
Une visite à l’atelier d’Alain Sicard
On descend au métro Volontaire. Une fois que le grand portail métallique vert a été franchi, on traverse une cour, plantée d’un arbre, et on s’interroge : comment trouver l’atelier ? Rien ne donne l’impression que le lieu, situé à droite, au rez-de-chaussée, soit habité, occupé. On se sent déjà loin de l’agitation de la rue.
On frappe, Alain vient ouvrir, invite à entrer.
Une écoute musicale est en cours. On soupçonne, sans que rien n’en soit dévoilé, l’intrication étroite qui lie les préparatifs de peinture, le geste pictural, à l’univers des sons. Grande platine vinyl, disques légués par le père. Un héritage manifestement vivant.
Difficile de dire ce qui happe le regard en premier, tant les sollicitations sont nombreuses. Un raffinement dans le choix du mobilier, des objets, d’inspiration scandinave ou japonaise. Au sol, un grand tapis dans des tons rouges. Devant le canapé, une petite table, sur laquelle reposent quelques bols à thé, une théière. Les rites semblent bien ancrés. Des choses fragiles, qu’il ne faut pas heurter … On se demande comment circule l’artiste dans cet espace, parfaitement incorporé.
Un mur de cartes postales, dont la rotation est régulièrement renouvelée, au fil des visites successives d’expositions et de musées. On pressent qu’un souffle chargé de siècles de peinture s’exhale là. On a envie de retourner toutes les cartes, pour vérifier, s’instruire, se persuader qu’on a acquis un peu de culture. Certains visiteurs, les plus avisés, s’en tiennent au regard. A gauche de l’entrée, un écran fait défiler des détails, des fragments de peintures, pris en photo, depuis des années, avec une détermination infaillible. C’est la collection intime de l’artiste.
Une étagère de livres vient compléter « le tableau » : des livres d’images avant tout, des pages hantées par la reproduction, en couleur, en noir et blanc. Il y a « livres » et « livres ». Ceux que j’acquiers aux Puces, et ceux que choisit Alain. Dans n’importe quelle langue, en japonais parfois, parce que la mise en page lui a plu, et que le texte, il n’en a pas grand-chose à faire. Il y a aussi les grands cartons -fabrication maison- qui servent à stocker les peintures, classées par formats, par années, aux titres secs.
Discrète, une desserte haute, montée sur roulettes, sert à ranger le matériel, toujours en ordre. Fonctionnement immuable. Une grande table au centre de la pièce laisse supposer qu’Alain peint à plat.
On en oublierait presque la présence des œuvres fixées au moyen d’aimants sur les murs blancs. De grandes feuilles parfaitement lisses, souvent vernies ; un accrochage concerté, conforté par l’indispensable niveau à bulles.
On songe à un décor pensé pour un cabinet d’esthète, un amateur d’art.
Jouir de la peinture plutôt que la faire.
Pas de traces, aucune coulée, aucune giclure, pas de bâche. On ne comprend pas bien. Une apparence léchée, comme s’il fallait faire l’économie du travail, des ébauches maintes fois reprises, de l’engagement du corps. Une œuvre qui se fond dans le lieu, participe de la même quête d’un idéal, d’une harmonie, d’une perfection peut-être.
Claire Dumay |