Texte du catalogue paru en 2022

.../...Depuis peu, il attaque certaines séances frontalement, dans l’air nu, sur le Velin d’Arches : ouvrir la brèche, oser le grand saut, gérer d’emblée une prise de décision inaugurale, qui engagera toute la peinture. Ce qui est jeté sur la feuille y demeurera, de façon pérenne, irréversible, sans possible remords. Et quelle que soit la stratégie adoptée, aux deux-tiers de la séance, émerge le point d’or. « C’était là » : un instant privilégié, où l’intention a été convoquée et mise en œuvre avec une justesse parfaite. Ce qu’il sait, a croisé ce qu’il avait envie de dire. Il cède à ce qui répond, à ce qui sollicite et enhardit son pinceau. Devient complice et acteur de ce qui le surprend. Et dans cette semi-irrésolution, advient une révélation. Un moment de grâce, où il se sent « chargé », jamais lesté. Une fulgurance, un décollement, une convergence inspirée. Une imminence, si éphémère, qu’elle en est déjà fugace. « Les choses se font sans moi, sans que je sois moi. Je me tiens en dehors. »
Je repense à une constante, résolument attachée à Alain : son envie de disparaître, ce rapport permanent à une identité picturale qui s’ajoure, s’évide, tantôt par la profusion, tantôt par la défection. Pendant longtemps, la pratique est marquée par l’exploration de maints territoires, par la multiplication des versions, des motifs, des touches de peinture. Une revendication avérée de l’emprunt, de la citation, au point de brouiller la perception, de l’étendre, jusqu’au seuil de la lisibilité. Les peintures d’Alain génèrent ce remuement équivoque, qui glisse et prend forme sur le tain du miroir ; convoquent la « mémoire de la sensation » (2). Aujourd’hui, s’amorce une autre forme de dépossession, un lâcher-prise, presque en amont du geste : Alain reconnaît comme sien ce dont il s’est absenté. Rien ne lui appartient vraiment. C’est ce processus d’effacement que j’aime en lui, une posture dont l’humilité m’a toujours édifiée.

Claire Dumay.


(1) Eric Suchère - « La peinture par ricochets » - Texte rédigé pour le catalogue de l’exposition « Exercice(s) de la peinture » - Le 19, Centre régional d’art contemporain de Montbéliard - 2004

(2) Pierre Wat - « Mémoire de la sensation » - Texte figurant sur le journal de l’exposition « Au 43 rue Fructidor » pour la Maison d’art contemporain Chaillioux - 2009