Texte figurant dans le catalogue de l'exposition "L'Art dans les Chapelles" - 2016



Le Sourn, un territoire composite, une identité plurielle ; une chapelle qui vient en remplacement d’une autre, « lézardée » : une filiation inscrite dans le corps de pierre, attachée à la mémoire de la faille, comme la peinture d’Alain s’affame et se joue des traces qui l’ont précédée.
La prévalence de l’apparence, du leurre, du trompe-l’œil : un plan illusoire en croix latine, articulé sur un faux transept. Un néo-gothique d’emprunt. Une voûte en berceau, pastiche du Moyen-Age, qui ne soutient rien. Un lieu dans lequel Alain va ancrer à son tour la veine du détournement : à travers ses assiettes, la tête de Saint-Jean-Baptiste éclate, se multiplie.
Dans le chœur, la statue de Sainte Radegonde, figure qui guérit les croûtes de lait. Alain, précisément attaché aux « croûtes », friand de toutes les peintures ; ouvert à toutes les empreintes que génère le grand corps pictural, désireux de les rappeler, de les ébranler, dans l’intimité de chacun.
Un confessionnal dont il ne reste rien, sauf une porte.
Une chapelle où on n’entre pas par la bonne porte : je me persuade qu’elle est vraiment pour lui, fidèle reflet de sa relation complexe aux églises.
Je me souviens de ces kilomètres de marche, qu’il initie dans les villes, pour découvrir et photographier des architectures ecclésiales atypiques.
Au moment où lui est soumis ce projet d’exposition, il se remémore immédiatement « La Cène » de Philippe de Champaigne : une table et sa nappe, le tracé des plis. Une seconde référence s’impose très vite : « Les Stations de la Croix » de Barnett Newman, revues à Los Angeles. Une émotion palpable, au fil de l’immersion graduelle. Une volonté, qui se précisera avec le temps, de travailler sur des formats verticaux, juxtaposant géométrie et émanations célestes. Une peinture déliée, qui se décolle du mur, tienne en lévitation, génère le hors d’atteinte.
Une volonté testamentaire : partir avec l’« Erbarme dich », dont il a scrupuleusement recopié et traduit les paroles, lui, l’athée inflexible, l’hérétique, l’iconoclaste, le blasphémateur à ses heures. Cet aria : une histoire de fidélité durablement éprouvée. Ma circonspection, mon trouble, devant l’ampleur du territoire religieux arpenté, jamais véritablement reconnu.
Je pressens que son accrochage héritera de cette teneur mystérieuse, toujours un peu décalée. Suscitera, au-delà des contours, des lignes, des limites, la part invisible, impalpable. Pour une fois, retenir son souffle, et se prosterner devant l’autel de la peinture.


Claire Dumay.